Bamba Thiam, père de Nafissatou Thiam, championne olympique: “Je n’ai jamais abandonné…”

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L’OBS – Nafissatou Thiam, la Belgo-sénégalaise, a décroché la médaille d’or de l’heptathlon lors des Jo à Rio (Brésil). Son père, Bamba Thiam, installé depuis près de 34 ans en Belgique, est accusé de remporter la médaille de la lâcheté, pour avoir abandonné ses enfants, dont la championne olympique. Alors, c’est un père au bord de la crise de nerfs, un homme meurtri qui s’est confié à L’Observateur pour faire taire les énormités sur son compte. Sa fierté aussi d’avoir inculqué des valeurs à ses enfants. Un pater qui tressaute de joie et de bonheur pour sa fille qui aime passer ses vacances à Diourbel, auprès de sa grand-mère, son homonyme. Entretien avec Bamba Thiam, père d’une fille en or que se partagent la Belgique et le Sénégal.

 

Comment avez-vous vécu l’exploit de votre fille, Nafissatou qui a décroché l’or olympique dans l’épreuve de l’heptathlon ?

Je dis bravo à ma communauté. Depuis qu’elle est devenue championne d’Europe, elle fait ma fierté, je me balade la tête haute. Il y a aucun Sénégalais de Belgique qui ignore que j’ai toujours été avec mes enfants. J’ai vécu et partagé avec des gens qui, depuis des années, me renseignent sur ma propre fille, parce que j’ai toujours voulu être un père dans l’ombre. Je ne l’ai jamais abandonnée. J’ai donné à ma fille la fierté d’être une combattante, la dignité d’être des enfants qui sont nés ailleurs mais qui ont reçu une éducation intègre. A Nafi, j’ai donné la dignité de braver la douleur. Et c’est à tous les pères qu’on met dans l’ombre et qu’on prive de leurs droits. Il n’y a aucun Sénégalais en Belgique qui ne m’a pas vu continuellement avec mes enfants, vider mes poches pour leur bonheur.

Avez-vous eu des nouvelles de Nafissatou Thiam avant son exploit ?

Ouais avant son exploit, je lui ai dit, les Thiam sont les Keïta, tes ancêtres étaient des combattantes, des femmes qui ont bravé la douleur et la souffrance et elle m’a répondu avec des sms où elle met plein de petits cœurs. Je souffre pour tous les parents à qui on a volé les enfants.

Avez-vous pleuré en voyant votre fille brandir cette médaille d’or ?

 

Avant son départ, elle est venue à Bruxelles. Avec ses frères, on est tous partis au restaurant chinois. Et pour la première fois, je n’ai pas sorti de l’argent pour payer. C’est elle qui a payé la note ce jour-là. C’était un vendredi. Le dimanche, on s’est encore retrouvé avec un de leurs amis d’enfance. Si vous regardez sur ma page Facebook, vous allez voir que dans les photos, nous avions brandi un V, parce que nous étions sûrs que nous allions gagner. Sa mère, par contre, ne pouvait pas le savoir, car elle ne sait pas ce qu’elle a mis au monde. Nous, nous sommes venus d’ailleurs. C’est ma fille. Ça c’était le dimanche et elle est partie à Rio le lundi.

 

Cette victoire de Nafissatou, est-elle celle du Sénégal, à travers vous, son père ?

Ouais ! Cette victoire est celle du Sénégal. Pourquoi pas ? Parce que son père aurait fui comme d’autres pères, mais je suis resté pour que mes enfants sachent que leur père est là. Qu’il les aime et ne les abandonnerait jamais. D’ailleurs, j’ai toujours payé mes pensions alimentaires, toujours marché droit, pour que mes enfants puissent être fiers.

«Des milliers de gosses meurent dans les eaux, combien de Nafissatou aurait-on pu avoir ?»

 

N’avez-vous pas regretté qu’elle n’ait pas défendu les couleurs du Sénégal ?

Je regrette ce que toute cette jeunesse perd loin de chez elle et qui pouvait profiter du savoir et de la stabilité. Nos enfants sont éparpillés partout dans le monde. Ce que Nafissatou a fait m’a encore fait prendre conscience de comment nous devons protéger notre jeunesse, de ce que devrait mériter notre jeunesse qui est dispersée dans le monde et massacrée partout. Des milliers de gosses meurent dans les eaux. Qui sait combien de Nafissatou on aurait pu avoir ?

Votre ex-épouse vous accuse, dans les médias belges, d’avoir abandonné vos enfants, est-ce le cas ?

J’ai eu des moments durs, mais je n’ai jamais abandonné mes enfants. Je n’ai jamais négocié mes droits devant un juge. Je ne ferai jamais le guignol comme les autres. Je me demande combien de pères sont isolés ailleurs et n’ont pas le droit de revenir et d’embrasser leurs enfants. Il faut qu’ils entendent la vérité et la douleur des gens. La maman des enfants a repris ses études quand mon fils, Mandela, est né. Ce fils porte le nom de Mandela, parce que j’ai toujours eu ma conviction et ma fierté d’être noir. Il faut que ces gens apprennent à nous respecter. La mère de mes enfants se permet de dire que je suis parti quand Nafissatou Thiam avait deux ans, mais quel mensonge ! Je n’ai jamais quitté la Belgique, je n’ai jamais abandonné mes enfants. Je respecte mon nom et je lui serai à jamais redevable. Je n’ai jamais voulu parler pour ne pas troubler ma fille. Mes enfants viennent au Sénégal, Nafi est venue voir son homonyme, sa grand-mère, en compagnie de mes autres fils, qui sont plusieurs fois venus au Sénégal. Leur maman se fabrique une image qui n’existe pas.

«Je préfère mourir que lâcher mon sang»

On vous sent meurtri, êtes-vous un père blessé ?

Non, pas blessé. Je suis un père qui parle pour les blessures des autres. Je suis là pour défendre les autres qui sont morts ou ceux qui ont fui pour survivre. Moi je me suis bien défendu. Ceux qui ont fui ne l’ont pas fait par manque de courage ou d’amour pour leurs enfants. Mais moi, je préfère mourir que lâcher mon sang. C’est la différence entre eux et moi. Comme j’aime à le dire, quand on veut sauver quelqu’un, on ne demande pas une rémunération. Nous les avons de tout temps aidés. Nous leur avons donné notre sang, notre culture, notre savoir et notre richesse. Je n’attends rien d’eux…

Accusez-vous la maman de vous éloigner des enfants et s’approprier leur succès ?

Je vais laisser les gens en juger. Me concernant, je continue de payer la pension alimentaire, même pour l’aînée, Fatimatou, 25 ans et qui est à l’Université. Je paie à hauteur de 150 voire 125 euros (environ 97500, 81250 FCfa) par mois pour les quatre. Mes enfants sont toujours venus au Sénégal. S’ils ne se considéraient pas comme des Sénégalais, pourquoi ils viendraient au Sénégal, voir leur grand-mère à Diourbel ?

Quelle est la cause du divorce avec leur maman ?

Moi je suis un homme. Et je veux vivre comme tel. Je suis un homme fier et libre qui n’a pas peur de perdre sa stabilité. Je ne suis pas un paillasson comme leurs hommes. Je ne suis pas non plus ces gens qui se disent que s’ils se rebiffent, ils perdront leur confort… ne verront plus leurs enfants. Voilà pourquoi certains hommes deviennent des moutons ici. Ils sont contrôlés comme des marionnettes.

Racontez-nous les conditions de votre voyage en Belgique ?

Je suis parti de chez moi et c’est vrai que ma mère ne voulait pas me laisser voyager. Mais mon père a toujours eu confiance, je suis parti, j’avais à peine 16 ans, vers la Côte d’Ivoire. Tout ce que j’ai appris dans la vie, je l’ai appris via cette communauté de Sénégalais éparpillée à travers le monde. La Belgique n’était pas un point final, j’y suis arrivé en 1982, je venais d’avoir 20 ans et cela fait 34 ans que je vis en Belgique.

 

Vous faites quoi dans le civil ?

Je suis sculpteur, peintre. J’ai fait toutes mes études d’art ici. Mais, à un moment donné, je me suis dit que je ne peux continuer de vendre des tableaux dans un système contre lequel je m’insurge. Pour moi, la valeur de l’art a régressé. L’art africain n’est pas primitif. Il est futuriste.

 

IDRISSA SANE ET MOR TALLA GAYE

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