Le nouveau premier ministre Amadou Ba passe pour quelquâun qui a débuté en politique avec lâavènement de Macky Sall. Seneweb a travaillé sur un portrait-enquête vous livre son vrai visage. Les entretiens ont eu lieu en 2018, quand il était au sommet de sa puissance en tant que ministre de lâéconomie et des finances.
Analystes politiques, adversaires de parti et même ses propres partisans ont fini de se tromper à son sujet. Parachuté à la populeuse et stratégique commune des Parcelles Assainies, Amadou Ba, désormais Premier ministre, était vu par lâopinion comme un néophyte en politique bombardé tête de liste du département de Dakar lors des Législatives 2017. Au point que certains se demandaient quel moustique a bien pu piquer Macky Sall pour quâil agisse ainsi.
Il faut croire que de vieux socialistes avaient soufflé à lâoreille du patron de lâApr. En effet, Amadou Ba, responsable politique aux Parcelles Assainies, câétait plutôt la résurrection dâun dinosaure. Loin dâêtre en terrain inconnu, Amadou Ba connait parfaitement les réalités politiques des Parcelles assainies, bien avant lâarrivée de Macky Sall au pouvoir.
Ancien responsable du Parti socialiste des années 90, il a sillonné ce quartier de jour comme de nuit, à la rencontre de militants et sympathisants. ââIl restait là jusquâà 2h du matin avec nous à faire du porte-à -porteââ, se souvient Serigne Wagane Sougou, un ancien baron Ps de la zone, aujourdâhui hors du champ politique.
Sandwichs pour les enfants, direction PA
En fait, lâhomme passait son temps plus dans son fief politique que dans sa maison à Nord Foire. ââIl était aux Parcelles de 13h à 14h 30 mn, puis de 21 à 3h et même parfois 4h du matin. Il lui arrivait, à midi, dâacheter des sandwichs pour ses enfants, les laisser à la cathédrale pour filer directement aux Parcelles assainiesââ, ajoute une vieille militante habitant Nord Foire, autre témoin privilégié de lâépoque.
Dâailleurs, le véhicule du jeune loup sâest tellement embourbé dans les rues sablonneuses du quartier, quâil a dû se doter dâun instrument adapté en cas de besoin. ââIl avait une pelle dans le coffre de sa voiture. A chaque fois quâil était pris au piège, il sortait la pelle. Tout en sueur, il dégageait le véhicule avant de continuer ses activitésââ, ajoute la dame.
Protégé de Diop le maire
Pour mieux comprendre le passé politique de lâApériste, il faut replonger dans le contexte de lâépoque. Avec Amadou Ba, lâhistoire semble se répéter. Coup dâÅil sur le rétroviseur. 1996 ! A la veille des Locales, Tété Diédhiou quitte les verts pour rejoindre le Parti démocratique sénégalais.
Derrière lui, un poste de coordonnateur dâune entité spéciale propre aux Parcelles dénommée Union locale. Il fallait donc le remplacer. Le Bureau politique désigne Lamine Fall. Mais au même moment, il y avait une bataille féroce entre Mamadou Diop, puissant maire de Dakar, et la direction du Ps, via la personne dâAbdoulaye Diack, chargé de la supervision de toutes les coordinations de Dakar.
Diop le maire avait besoin de placer aux Parcelles un homme de confiance, un leader charismatique. Jeune cadre aux impôts et domaine, lâinspecteur est coopté pour servir de cheval de Troie. ââA chaque fois quâon organisait une assemblée générale pour désigner le nouveau coordonnateur, une tendance Amadou Ba sâest dégagée. Finalement, on était obligé dâavoir deux coordonnateurs : Amadou Ba et Lamine Fallââ, confie un des acteurs de lâépoque sous lâanonymat.
La bataille avec Tété Diédhiou
Celui qui nâétait quâun figurant dans les années 94 devient subitement un responsable de premier plan. En 1996, il est élu conseiller municipal à la ville de Dakar pour le compte des Parcelles. Aux Législatives de 1998, il est désigné par Mamadou Diop pour être le député de la zone. Mais le poste va aiguiser les appétits au point que la proposition est retirée.
En plus dâavoir perdu cette bataille, Amadou Ba et Lamine Fall vont devoir faire face à Tété Diédhiou, revenu en force et décidé à les envoyer sur la corde. Diédhiou convoque une assemblée générale un week-end à lâissue de laquelle il devrait être le seul maitre à bord. Mais surprise ! ââAmadou Ba a attendu au milieu de la nuit pour trouver un cyber café et envoyer à la presse un communiqué qui dit que lâAssemblée générale a été annulée. Au réveil, le camp de Diédhiou était surpris dâentendre les médias annoncer le report de la manifestation. Ce fut un vrai fiascoââ. Diédhiou arrive tout de même à gagner le titre de coordonnateur, soit trois coordonnateurs pour la même union locale.
Il faut dire quâentre Amadou Ba et le Ps, câest une longue histoire. En effet, avant le fils Amadou, sa mère Marième Baal, décédée à quelques jours des Législatives de 2017, était présidente des femmes de la sous-section allant de lâunité 1 à 6 des Parcelles Assainies. Un militantisme quâelle a commencé déjà à Grand-Dakar. Une fois son entrée en politique effective, le jeune Amadou a demandé à sa maman de se retirer de la jungle pour se consacrer à des actions sociales, au profit certainement du leader montant.
Kognou Bagarre à Niary Tally
Si Marième Faye Sall est connue pour son rôle derrière Macky Sall, la femme dâAmadou Ba est aussi distinguée derrière son mari. Aïssatou Ba de son vrai nom, originaire de Thiès, celle qui est surnommée Belly a monté des cellules de femmes presque partout à Dakar, en plus de faire dans le social. « Elle est très engagée, mais très effacée. On dirait quâelle a peur. Quand on dit Belly, elle dit : Non, câest Marième », confie une militante de longue date à Niarry Tally.
Responsable politique, Amadou peut être critiqué sur sa gestion, mais ses qualités humaines lui sont reconnues. Seydou Sy Sall accuse le coordonnateur de Benno aux Parcelles Assainies de faire cavalier seul. Il loue cependant lâautre face de lâhomme. « Il ne commet pas dâacte malsain pour des profits. Câest quelquâun de très positif et très humain dans ses rapports avec les autres », souligne le socialiste qui ajoute que Ba ne verse jamais dans les invectives ou la violence. Il est toujours calme, quelles que soient les circonstances.
Né à Grand Dakar, celui quâon appelait Bayal (Amadou Bayal Ba) a passé son enfance dans un milieu très chaud. Le quartier ââKognou Bagarreââ où il a fait ses premiers pas portait bien son nom à lâépoque. ââIl fallait être un dur à cuire pour vivre dans ce coin, se souvient Cheikh Ndama, plus âgé que Amadou de quelques années. Il y avait ici toute sorte de voyous, des fumeurs de chanvre indien ».
Relations avec le privé national
Mais le fils de Ibrahima Ba et Marième Baal sâétait toujours tenu à lâécart, lui qui sortait très peu. Câest ainsi quâil a réussi ses études dâabord à lâécole primaire Route des puits, à quelques maitres de la maison familiale, abandonnée dans un état de délabrement manifeste (du moins quand nous étions de passage en 2018). Il fait ensuite le lycée Maurice Delafosse puis lâuniversité Cheikh Anta Diop.
Avec Amadou Ba, câest le retour de Monsieur PSE. En effet, câest lui qui est allé défendre le Plan Sénégal émergent au club de Paris en 2014, puis en 2018. Ministre des Finances, il était devenu un peu trop puissant au goût de certains apéristes, et probablement de Macky Sall qui lâenvoie aux Affaires étrangères après la présidentielle de 2019 avant de le sortir du gouvernement.
Avec son retour en puissance aux affaires, le secteur privé ne sera sans doute pas rassuré. Quant il était au ministère de lâéconomie, le patronat le considérait comme celui qui bloquait le secteur privé national. Dâailleurs, la sortie du président du Cnes, Adama Lam, sur la Tfm sonne comme une mise en garde. Amadou Ba devrait aussi être plus discret sur les chiffres, lui que le Pr Moustapha Kassé qualifiait en 2015 de ”ministre des médias”.