Reportage – Enquête : Les secrets de la success-story des comédiens Thiessois

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Les artistes-comédiens Thiessois crèvent la petite lucarne. Dans la Cité du rail où on dénombre plus d’un millier de talents, les troupes théâtrales poussent comme des champignons dans tous les coins de la ville. Et chacun attend son heure de gloire pour toucher le graal du rire et, du coup, marcher sur les traces des aînés Saneex, Aziz Niane ou Cheikh Ndiaye alias «Jojo».

 

Le Coin du rire est à quelques mètres du Terminus du quartier Hersent, il faut se risquer un rictus sur l’asphalte de la route de Khombole. Puis, l’on a envie de pouffer de rire devant une maison à l’entrée de laquelle, une carcasse de guitare surplombe le portail. Ne riez pas ! L’instrument de musique renseigne sur la vocation culturelle de cette demeure artistique qui porte le beau nom de «Chambre 9». Ici les artistes soufflent le show à chaud. Ce jour-là, c’est la troupe de théâtre «Jaam Ji Family», créée en 2003, qui y répète ses gammes scéniques. Cheikh Fédior, directeur artistique de la troupe, est à la manette pour former ses futurs Sanexx, Jojo ou Mbaye Dosé… Le rêve éveillé de tous ses gosses, c’est d’être un jour star de la scène. «Ces artistes-comédiens ont la passion du théâtre. Ils viennent de quartiers lointains ou souvent même des villages environnants pour répéter dans des conditions difficiles de travail. Notre dernier festival a été un succès. Au retour de cette compétition, les filles tombaient en transe. Je n’indexe personne, mais c’est juste qu’on nous avait jeté un sort maléfique. Dans le théâtre, il y a beaucoup de mystiques et de rivalités. Tout le monde veut émerger», consent Cheikh Fédior. Aujourd’hui, le théâtre thiessois vit ses heures phares. L’éventail est devenu très large à telle enseigne que des troupes naissent dans chaque coin de rue. Les artistes-comédiens Thiessois ont fini par occuper le devant de la scène du théâtre sénégalais. Thiès compte moins d’une centaine de troupes de théâtre pour plus de 1 000 artistes-comédiens, dont les noms de scène connus sont Serigne Ngagne, Cheikh Seck, Saneex, Ndèye Sine Sall, Binta Samb, Vieux Bâ, Baye Fall, Diop Fall, Samba Ndiaye, Ngoury, Mélesse, Paco, Combé, Guèye Téranga, Mangassi, Ndiembé Sène, Maniouck, pour ne citer que ceux-là.

Le vivier du rire est riche. Des troupes comme «Soleil Levant», «Royou Kaye», «Djankeen» pilonnent le paysage audiovisuel par leurs représentations de très hautes factures. Mais le chemin a été long et parsemé d’embûches pour arriver à ce résultat. «J’ai commencé par la danse des ballets à la troupe ‘’Ndoumbélane’’ de l’artiste-comédien Samba Ndiaye, vers 1987. C’est en 2000 que j’ai rejoint la troupe ‘’Soleil Levant’’. Avec Saneex, Cheikh Ndiaye et Aziz Niane nous avons galéré. Cette traversée du désert a duré presque 10 longues années. Aujourd’hui, les choses ont changé avec le téléfilm ‘’Wiiri wiiri’’», confiait Binta Samb de la troupe «Soleil Levant». En moins d’une décennie, ladite troupe a révolutionné le Théâtre sénégalais. «Soleil Levant» a imposé un nouveau style de jeu où le burlesque et le comique occupent une place centrale dans l’intrigue. Les succès se succèdent avec des téléfilms comme «La médaille», produit dans des conditions extrêmement difficiles, ensuite «Askanou Laobé», «Lamb-ji», «Mor Tojangué», «Saneex», «Toloff-Toloff»… Après l’épopée des séries télévisées saint-louisiennes avec «Bara yeegoo» et «Reug reug bodian», Thiès prend le flambeau et occupe, depuis une décennie, le haut du podium. De grands noms ont marqué le Théâtre. Jetons un coup d’œil dans le rétroviseur.

Père «Léo» initie les jeunes au théâtre…

Quand bien même, le théâtre n’a jamais quitté la région de Thiès. Aux premières heures des indépendances, le premier maire de Thiès, Léopold Sédar Senghor, ancien président de la République du Sénégal, avait vite fait d’initier la Semaine nationale de la jeunesse. Des moments d’échanges culturels entre les artistes de toutes les régions du Sénégal qui rivalisaient d’ardeur à travers le théâtre, par des représentations scéniques, des chorégraphies, des ballets et autres chants. Et à Thiès, existait déjà une troupe communale dirigée par feu Jean Ndiaye (acteur dans «Guélewar» de Sembène Ousmane), Pape Amadou Seck, Kader Ngom, entre autres. Thiès a toujours connu cette vocation culturelle et artistique. Dans les quartiers, se développait un théâtre populaire initié par les Associations sportives et culturelles (Asc). La Salle des fêtes de la mairie et le Cdeps abritaient des spectacles. Et les jeunes talents s’y dévoilaient. Depuis 30 ans sur scène, Ndiembé Sène, président de la troupe «Djankeen», a commencé à faire le théâtre au Collège d’enseignement moyen (Cem) Mamadou Diaw, en classe de 6e. «Le théâtre était vivant dans les écoles. Il s’est vite développé à Thiès, parce que les jeunes artistes-comédiens sont formés au métier du théâtre. L’Association des artistes-comédiens (Arcots) organise chaque semaine, les Dimanches artistiques. Entre 70 et 75 artistes-comédiens reçoivent des modules de formation pendant 8 semaines», explique-t-il.

«Soleil Levant», seul au sommet…

De plus en plus, les jeunes plongent dans le monde de l’art. Ndiembé Sène note que c’est parce que le comédien vit aujourd’hui de son art. «Nous avons souvent des productions qui se chiffrent à plus de 4 millions de FCfa. On rend grâce à Dieu», dit-il. Sur le plan financier, le théâtre est devenu une industrie rentable. Puisque les artistes-comédiens y trouvent leur compte, le théâtre a vite pris du galon. La dernière série télévisée «Mbettel», dans laquelle jouent Ndiembé Sène et Serigne Ngagne, diffusée sur la Rts, jouit d’un fort audimat. La série «Wiiri wiiri» foudroie les Sénégalais en plein cœur. Saneex et sa bande ont fini de prouver qu’ils ont atteint le sommet par leur prestance, avec un style moins bouffon. «C’est l’avènement des séries télévisées. Le bouillonnement artistique, dans la Cité du rail, est favorisé par la pluralité des supports audiovisuels, entendu que, de par le passé, il n’y avait qu’une seule télé (la Rts) qui avait le monopole dans la diffusion des pièces de théâtre. Le théâtre Thiessois va continuer à peser sur le Théâtre national», fait remarquer Jules Dramé, président des Artistes-comédiens de Thiès (Arcots). Abdoulaye Diakhaté, artiste-comédien, metteur en scène, par ailleurs professeur d’Art dramatique, estime que les artistes-comédiens Thiessois excellent dans un genre de théâtre que les Sénégalais adorent. «Quand c’est filmé, cela s’appelle dramatique. Parce que le vrai théâtre, c’est la représentation scénique. Ces artistes-comédiens se sont formés à la base», signale-t-il. Il est d’avis que ces artistes-comédiens qui font le buzz, ont la pratique du métier. Après plusieurs années à Dakar, Abdoulaye Diakhaté est rentré à Thiès pour y ouvrir une école de Théâtre, afin d’apporter les techniques du théâtre aux artistes-comédiens. «La plupart des artistes-comédiens Thiessois sont passés par cette école. Les seuls que je n’ai pas formés, ce sont peut-être Saneex, El Hadji Gora et Cheikh Ndiaye. J’adore ce qu’ils font. Mais, il faut le souligner, ils font de la télévision», souligne Abdoulaye Diakhaté. Portant un regard critique sur les séries télévisées, Abdoulaye Diakhaté signale que les dramatiques télévisées tuent le talent des comédiens qui ne font plus de représentations sur scène. Le professeur d’Art a surtout pitié de ces artistes-comédiens qui jouent pour la passion et qui ne sont pas payés du fruit de leur labeur. «Je joue plus à l’étranger. Car mon cachet d’une prestation pendant 2 mois peut me faire vivre toute une année au Sénégal», s’enorgueillit-il. «J’ai conseillé à Diop Fall, Maniouk, Combé, Guèye Téranga, Fatou Guèye d’aller à Dakar. Ils ont suivi mes conseils, parce qu’il y a beaucoup plus d’opportunités. Même si le talent et le potentiel est là, le théâtre ne marche pas à Thiès», tranche-t-il. Certains sont même au bout du gouffre. «Certains artistes-comédiens ont des difficultés pour gérer leur quotidien. Souvent, on se cotise dans la discrétion pour les aider à payer leurs locations, leurs ordonnances etc.», renchérit Jules Dramé, président de l’Arcots. Les artistes-comédiens Thiessois de renom évoluent, pour la plupart, à Dakar, au grand dam de leurs jeunes frères Thiessois qui sont encore dans l’antichambre, en attendant leur heure de gloire. Quand bien même, ces dignes ambassadeurs des planches continuent de faire plaisir aux Sénégalais.

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