L’espace de Ndèye Takhawalou : Quarante ans, Sénégalaise toujours dans le pétrin

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NDEYE TAKHAWALOU

L’OBS – Cette parole à libérer

La romancière française, Marguerite Duras, a écrit dans son livre Hiroshima mon amour : «C’est comme l’intelligence, la folie… On ne peut pas l’expliquer. Tout comme l’intelligence. Elle vous arrive dessus, elle vous remplit et alors, on la comprend. Mais, quand elle vous quitte, on ne peut plus la comprendre du tout». Cette définition me paraît très juste carelle exprime une modification de la conscience qui vous submerge un moment de votre vie et après, on se demande comment on a pu penser ainsi, réfléchir ainsi, considérer le monde d’une telle manière. Si la maladie mentale était une affaire personnelle, elle serait plus supportable, mais tout le monde s’en mêle, de l’entourage proche jusqu’à une périphérie des plus éloignées. Un jour, j’ai pris un taxi et notre voiture a été doublée par un autre taxi. Alors, le chauffeur s’est tourné vers moi pour me dire : «Tous les taximen de Dakar sont fous, ils devraient être enfermés là-bas à «Dalal Xel».» J’ai fait semblant de ne pas comprendre ce qu’il voulait dire et il s’est mis à m’expliquer que «Dalal Xel» est un village où on enferme les fous. Je me suis rendu compte que dans l’imaginaire des Sénégalais, «Dalal Xel» est un endroit monstrueux où personne ne souhaite aller et c’est un lieu aussi stigmatisé que la prison. Cet hôpital n’est pas assimilé à un endroit où on reçoit des soins et d’où on repart avec tous ses esprits pour reprendre le cours de sa vie, ou en recommencer une autre. Il y en a qui font de leur maladie un tabou et je crois qu’il ne faut pas laisser macérer son mal dans le silence, de peur qu’il ne fermente jusqu’à empirer. Il faut libérer la parole, en parler tout simplement et éviter le pathos. Je me vois mal cacher à quelqu’un que je prends des anxiolytiques contre mes angoisses. Parler de mes problèmes existentiels, c’est déjà en guérir, parce que cela suppose une prise de distance avec la maladie. Ce n’est pas pour rien que la psychanalyse soigne par la parole. Dire, c’est déjà triompher de ses démons. La maladie mentale, c’est lorsque vos démons prennent le dessus et on ne peut les neutraliser que par la parole, les nommer, c’est les anéantir.  Lorsque je parle de démons, ce ne sont pas les «rabs» et les «djinns», mais les traumatismes qu’on traîne depuis des années et qui, de jour en jour, remontent à la surface jusqu’à apparaître dans votre comportement. La modification de la conscience ne se fait pas du jour au lendemain, c’est un mal insidieux qui s’installe à notre insu, gagne de la place dans notre cerveau sans qu’on ne s’en rendre compte et lorsque cela devient apparent, une hospitalisation s’impose. C’est l’histoire commune de presque tous ceux qui se retrouvent un moment de leur vie à «Dalal Xel».  Bien sûr que c’est compliqué tout cela et qu’on a parfois un traitement lourd à vie, parce que quelque chose s’est détraqué et ne peut plus être à sa place sans les médicaments. C’est difficile à accepter au début, mais après, on s’en accommode, avec des hauts et des bas. Parfois, on est «up», c’est à dire en pleine forme et parfois, on est «down», c’est-à-dire accablé. Mais mieux vaut s’en accommoder pour ne pas gâcher sa vie. Et s’en accommoder passe par la parole. Avoir quelqu’un qui vous écoute et vous comprend, c’est indispensable. Lire dans un regard non pas de la pitié ni de la compassion, mais de la compréhension, cela aide beaucoup. Surtout, il faut savoir  retrouver sa place dans la société avec ce qu’on peut lui apporter, aussi minimum que cela soit. C’est pourquoi le travail est salutaire, il brise la solitude et crée des liens, mais dans ses liens sociaux, il y a aussi un piège. Certaines personnes veulent vous enfermer dans le cachot de la folie pour toujours et cela, il faut le refuser. En ce qui concerne ces gens-là, il faut de la fermeté et ne jamais prêter le flanc car c’est leur perversité qui s’exprime ainsi et il ne faut pas se laisser ronger par la perversité des autres, surtout lorsqu’on a une maladie mentale car ils tentent de jouer avec votre fragilité. Ce fait peut être mortel et c’est ce qui explique bien des suicides, mais heureusement, je n’en suis pas là. J’arrive à parler de ce qui m’est arrivé, je libère la parole et ça, c’est une fenêtre ouverte par Dieu et à partir de laquelle je peux m’évader de l’accablement.

 Ndèye Takhawalou

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